Troisième semaine — Le jour où j’ai arrêté de forcer le spectacle pour le laisser respirer...
- Le Théâtre du Mauvais Garçon
- 29 juil.
- 3 min de lecture

Il y a des semaines où tout semble plus simple, mais on ne sait pas trop pourquoi.
Cette troisième semaine de représentations de Chasser des Galeries (les numéros 9, 10, 11 et 12 pour être précis), je me suis surpris à faire moins. Moins de répétitions. Moins de vérifications. Moins d’ajustements avant la représentation. Et pourtant… le spectacle m’a semblé plus juste. Plus habité. Plus vivant.
Je crois que j’ai, sans même m’en rendre compte, lâché prise.
Ce n’était pas prémédité. Je ne me suis pas réveillé un matin en me disant : Aujourd’hui, je vais laisser faire les choses. Non. C’est arrivé graduellement. Je suis monté sur scène un peu plus détendu, un peu moins dans la tête, un peu plus dans le corps. J’ai arrêté de vouloir tout contrôler. Et c’est là que quelque chose s’est passé.
J’ai modifié le décor. Réduit le nombre de places disponibles, sans me poser trop de questions. Un geste instinctif. En coupant dans le nombre, j’ai retrouvé une certaine intimité. J’avais l’impression de jouer pour des gens rassemblés dans une cour, sur une vraie galerie, pas dans un dispositif scénique artificiel. Ça a changé l’ambiance. J’ai senti un souffle plus organique entre moi et le public.
J’ai aussi changé le pied de micro. Le modèle que j’utilisais au départ me donnait une grande liberté de mouvement, mais je ne trouvais pas ma place. J’ai remplacé ça par un pied fixe, un modèle simple, comme ceux utilisés par les humoristes en stand-up. Plus contraignant à première vue, mais étrangement plus rassurant. Ce micro planté au centre, c’était comme une balise, un point d’ancrage. Au lieu de me limiter, il m’a donné une base. Un corps plus solide. Une voix plus posée.
Ces décisions, je ne les ai pas prises avec des objectifs précis. Je les ai faites « à l’instinct ». Et elles m’ont rappelé une chose essentielle : l’objet artistique, s’il est bien vivant, a besoin d’air. Il a besoin d’espace. Il a besoin qu’on lui foute la paix un moment, pour trouver sa propre forme. Il a besoin, parfois, qu’on le laisse faire.
Depuis toujours, je suis du genre à travailler fort. Je répète, je peaufine, je reprends, je précise, je cherche la justesse. C’est important, bien sûr. Mais à un moment donné, trop de volonté, trop de contrôle, trop de peur de rater, ça peut étouffer l’élan.
C’est un paradoxe curieux : en art, plus on essaie de tenir quelque chose fermement, plus ça nous glisse entre les doigts. Et quand on accepte de desserrer un peu l’étreinte, le projet respire, prend forme, s’élargit, devient plus vrai. Ce n’est pas une perte de rigueur, au contraire. C’est une rigueur plus souple. Une rigueur qui comprend qu’à trop vouloir tout maîtriser, on bloque l’imprévu. Or, c’est souvent dans l’imprévu que la magie surgit.
Je repense souvent à ce que Peter Brook suggérait : que le théâtre, au fond, c’est un instant de vérité qui surgit entre deux accidents. C’est dans l’inattendu que naît le vivant. Il y a du vrai là-dedans. Laisser place à l’accident, à l’inattendu, au souffle d’un silence qu’on n’avait pas prévu… c’est peut-être là que le théâtre devient pleinement vivant. Non pas comme une œuvre à exécuter, mais comme une rencontre.
Et je me rends compte que ce spectacle, Chasser des Galeries, m’éduque autant que je le construis. Il m’apprend la patience. Il me force à observer. À écouter le public autrement. À faire confiance aux moments où ça respire mal, parce que c’est souvent là que se cache un indice. Il m’apprend que ce n’est pas toujours dans les grandes envolées que l’on touche les gens, mais parfois dans une hésitation, une maladresse, un rire inattendu.
En lâchant prise, j’ai retrouvé du jeu. Du vrai jeu. J’ai retrouvé le plaisir de découvrir sur scène, avec le public, plutôt que de leur présenter un produit fini. Et ça change tout. Ça rend la scène plus fragile, oui, mais aussi plus vivante. Plus humaine. Plus risquée, peut-être, mais au fond, c’est ce risque-là qui me fait vibrer.
Cette semaine, j’ai arrêté de forcer le spectacle.
Et le spectacle m’a remercié.
Stéphane Bélanger
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