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Je veux parler le "Subvention"

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Je veux parler le "Subvention". Je veux parler le "Subvention."

C’est une belle langue. Sérieuse. Structurée.

Une langue qu’on parle dans les hautes sphères culturelles, dans les réunions stratégiques,dans les formulaires intelligents avec des cases dorées, presque des bijoux administratifs.


Moi, je suis d’en bas, mais j’ai de l’ambition. Alors j’ai décidé d’apprendre.

J’ai commencé par l’alphabet.

Le A de Appel à projet,

le B de Bénéficiaire admissible,

le C de Cadre de référence.

J’ai fait des dictées. J’ai lu des rapports annuels à voix haute. J’ai même écouté des enregistrements de conférences Zoom pour m’imprégner de la mélodie de la langue. C’est une langue très chantée, très rythmée…mais sans émotion.

J’ai ensuite essayé de composer mes propres phrases.

Au début, c’était hésitant :

« Je souhaite mettre en œuvre une initiative de médiation artistique auprès des clientèles... euh... éloignées du... euh... geste... euh... culturel ? »

J’ai recommencé. J’ai remplacé spectacle par activité à portée inclusive. J’ai évité des mots comme public, trop flous. J’ai dit groupes cibles. J’ai enlevé le mot artiste, trop risqué. J’ai mis porteur de projet. Je me suis appliqué.


J’ai même loué une salle pour pratiquer mon oral. Je faisais mes phrases en "Subvention" devant des rangées de chaises vides. Et je m’imaginais une foule conquise, émue, transportée…par ma capacité à nommer des objectifs spécifiques dans une logique d’évaluation qualitative et quantitative.


Mais un jour, j’ai voulu tester ma nouvelle langue en vrai.

J’ai dit à un ami :

« Je développe une démarche de co-construction artistique ancrée dans le territoire, favorisant l’émergence de nouvelles dynamiques transversales. »

Il m’a demandé :

« Tu fais un show ? »

Le pauvre.

Je l’ai regardé avec tendresse, comme on regarde un vieil oncle qui n’a jamais quitté le village.


Il vit encore dans une langue d’avant. Une langue rudimentaire, sans indicateurs de performance. Une langue où les phrases ont un sujet, un verbe et une émotion.

Il ne sait pas. Il ne sait pas que ce n’est plus comme ça qu’on parle culture.


Moi, je ne fais plus « des shows ».

Je m’inscris dans une démarche. Je m’arrime à des objectifs. Je propose un cadre structurant, avec un rayonnement potentiel sur des axes transversaux.


Mais lui…il parle encore en phrases complètes. Il utilise des mots sans les justifier. Il ose dire beau, touchant, j’ai aimé ça…sans bibliographie ni données probantes.


C’est cruel.

Il est resté bloqué à la langue humaine. Moi, j’ai fait le saut. Je parle le "Subvention."

Je le corrige doucement :

« Non. Ce n’est pas un show. C’est une activation citoyenne du territoire par une pratique narrative non linéaire. »

Il me fixe. Il cligne des yeux. Il me dit :

« Ah?… Je suis pas certain de pouvoir y aller. »

Il est gentil. Il veut bien faire. Mais on sent qu’il ne pourra jamais suivre. Pas sans accompagnement lexical.


Alors je me suis promis de suivre des classes de perfectionnement. Des cours du soir pour les retardataires.


Apprendre à dire maillage intersectoriel sans bafouiller.


Remplacer plaisir par valorisation des retombées sociales. Traduire j’ai envie de créer par je m’inscris dans une logique de développement culturel local.


Parce que je ne veux pas rester derrière. Je ne veux pas refuser d’avancer. M’accrocher encore à l’idée que la culture,c’est fait pour parler aux gens.

Comme s’il suffisait de raconter une histoire et d’écouter ce qu’elle fait résonner.

Quelle naïveté.


Il faudra du temps. Mais je garde espoir.

Un jour, peut-être,je pourrai dire sans aucun accent :

« Ce projet s’inscrit dans une dynamique innovante à haute valeur ajoutée pour les communautés éloignées du geste artistique. »

Et ce jour-là…Quand ce jour viendra…

J’aurai la chance d’exister artistiquement…Du moins… administrativement parlant.

 
 
 

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