L’élitisation de la culture : un malaise dont on parle peu
- Le Théâtre du Mauvais Garçon
- 9 août
- 3 min de lecture

Quand on parle des problèmes en culture, ce sont souvent les coupures budgétaires qui reviennent en premier. Et c’est normal, elles font mal.Mais il y a un autre phénomène, moins visible, dont on parle rarement : l’élitisation de la culture.
C’est une façon insidieuse de créer de la distance entre l’art et une bonne partie de la population. Ce n’est pas toujours intentionnel, mais le résultat est là : une culture qui finit par parler à une minorité… et par donner aux autres l’impression qu’ils n’ont pas les bons codes, qu’ils ne sont pas “du monde de la culture”.
Une culture qui semble réservée à quelques-uns
La culture est censée rassembler. Créer des ponts. Mais de plus en plus, on voit une séparation entre deux mondes :
d’un côté, ce qu’on appelle la “haute culture” — théâtre contemporain complexe, installations visuelles, œuvres conceptuelles souvent jouées dans des lieux prestigieux ;
de l’autre, une culture plus populaire, plus accessible, mais trop souvent perçue comme “moins sérieuse” ou “moins noble”.
Ce clivage crée des effets bien réels :
Certaines personnes ne se sentent pas à leur place.Elles n’osent pas entrer dans une galerie, un théâtre, ou elles s’y sentent jugées. Elles disent : “Ce n’est pas pour moi.”
Certains artistes sentent qu’ils doivent “se compliquer”pour être pris au sérieux, pour être subventionnés, pour entrer dans les bonnes grâces des institutions.
Quand les artistes s’élitisent entre eux
À force d’être exposés à ces normes, certains artistes finissent par adopter les codes attendus : un langage plus abstrait, une posture plus distante, des projets qui plaisent à leurs pairs plus qu’au public. Pas par snobisme. Souvent, c’est juste une manière de survivre dans un système qui valorise certains types de créations plus que d’autres.
Des dynamiques s’installent. On se comprend entre créateurs, on se reconnaît entre artistes, mais on se coupe doucement de ce qui fait battre le cœur du métier : le lien avec les gens.
Le problème des critères de reconnaissance
Dans bien des cas, les critères de sélection pour les bourses ou les appels de projets valorisent des projets “innovants”, “interdisciplinaires”, “ancrés dans une démarche de recherche”.Tout ça peut être valable, bien sûr. Mais ce sont des balises qui peuvent exclure sans le vouloir des formes d’art plus simples, plus directes, plus proches de la parole et du public.
Un conte, une pièce légère, une forme populaire, un spectacle intimiste en bibliothèque ou dans une salle communautaire : c’est tout aussi nécessaire, mais beaucoup plus difficile à défendre dans certains milieux.
Quand l’art devient trop universitaire
L’université a beaucoup apporté au monde artistique des outils, des réflexions, des moyens d’analyse. Mais elle a aussi, parfois, contribué à faire glisser l’art dans un registre trop intellectuel, trop théorique, déconnecté de la réception réelle du public.
On y apprend à déconstruire, à problématiser, à référencer. Mais on oublie parfois que le public, lui, ne cherche pas un exposé, mais une expérience vivante. Une émotion. Un moment de vérité.Quand l’œuvre devient un exercice de pensée réservé à ceux qui ont les clés, on passe à côté de l’essentiel : ce que l’art provoque chez les gens, là, maintenant, sans intermédiaire.
L’accessibilité, c’est plus que le prix du billet
On pense souvent que la culture est inaccessible parce qu’elle est chère. Et c’est vrai dans bien des cas. Mais ce n’est pas tout. Il y a aussi des barrières symboliques : le langage utilisé, le ton, les lieux, la manière de présenter les œuvres.
Quand un spectacle semble fait pour ceux qui ont étudié en art ou en philo, quand les mots choisis pour parler d’un projet sont remplis de jargon, quand on a l’impression qu’il faut un diplôme pour “comprendre” une œuvre… on perd des gens. Et pas parce qu’ils ne sont pas curieux. Mais parce qu’ils sentent qu’on leur parle d’en haut.
L’élitisation de la culture n’est pas toujours visible. Ce n’est pas forcément le fruit d’une volonté de fermer la porte.C’est un climat, un système, une série d’habitudes qui finissent par envoyer ce message :
“La culture, c’est pour ceux qui savent.”
Mais ce n’est pas vrai.
La culture, c’est ce qui relie. C’est ce qui nous fait réfléchir, rire, pleurer, vibrer ensemble.Elle n’a pas besoin d’être compliquée pour être puissante. Elle n’a pas besoin d’être codée pour être valable.
Et surtout : elle ne devrait jamais être réservée à une élite.



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