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« Le bon français » : origine de la prononciation internationale

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Dans la continuité de mes réflexions sur le théâtre, je me suis intéressé à l’origine de ce que l’on appelle aujourd’hui la “prononciation internationale”. Cette diction neutre, dépouillée d’accent, est souvent utilisée pour jouer les classiques au Québec — comme s’il s’agissait de la manière “réelle” ou “correcte” de prononcer le français classique. Pourtant, cette façon de parler ne vient ni de Molière ni du XVIIᵉ siècle… mais d’un projet beaucoup plus récent.


Un projet national du XIXᵉ siècle

Au XIXᵉ siècle, la France entre dans une période de forte centralisation : l’État modernise ses institutions, codifie la langue et cherche à construire une identité nationale forte. Le théâtre, considéré comme un art prestigieux, devient un outil d’unification culturelle. On commence à parler de « théâtre national », et avec ce statut apparaît l’idée d’une langue nationale standardisée.


Les grandes institutions, comme la Comédie-Française, adoptent alors une prononciation « modèle », débarrassée de toute trace régionale. Cette diction devient la référence et impose progressivement l’idée qu’il existe un « bon français » à respecter sur scène.


Une langue fabriquée… et normalisée

Cette prononciation ne vient d’une tradition populaire. Elle est construite à l’intérieur des institutions (académies, conservatoires) et enseignée aux comédiens comme un idéal à atteindre. Pour servir dignement les classiques, on estime qu’il faut :


  • parler d’une seule voix,

  • effacer les accents,

  • unifier le rythme et la musicalité.


Mais ce choix tend à effacer les différences sociales et régionales des personnages et à produire une langue uniforme qui n’appartient à personne.


Ce qui est paradoxal, c’est que cette uniformité ne correspond pas du tout à la réalité historique. Au XVIIᵉ siècle, les troupes de comédiens étaient composées de gens provenant de régions très différentes : Languedoc, Bourgogne, Provence, Normandie… Il y avait donc des accents, des rythmes, des couleurs variées sur scène.


Quand l’unité devient uniformité

Ce modèle s’est exporté et a été repris ailleurs, notamment au Québec, où il est encore largement enseigné dans les écoles de théâtre. On l’a associé à l’idée de professionnalisme, voire à une forme de critère d'approbation internationale.


Le résultat, c’est la coexistence de deux français :

  • un français vivant, pluriel, utilisé au quotidien ;

  • un français normatif, réservé à la scène, dont la neutralité devient presque abstraite.


Cette normalisation réduit les contrastes entre les personnages, crée une forme de distance avec le public et véhicule implicitement l’idée qu’il existe une manière “correcte” de parler et donc, des manières incorrectes.


Pour une pluralité des voix

L’objectif n’est pas de rejeter la rigueur ou la clarté de la langue. Mais de rappeler que le théâtre n’est pas un espace où l’on doit parler tous de la même façon. Historiquement, les voix étaient diverses, les accents étaient présents, les rythmes différents.


D’ailleurs, il est intéressant de constater que certaines pièces de Michel Tremblay sont jouées partout dans le monde — parfois avec des accents extrêmement marqués — et que cela ne choque personne. Mais dès qu’il s’agit des « classiques », le moindre écart de diction devient, pour certains, une faute impardonnable. Comme si ces œuvres exigeaient une langue pure et figée, alors même qu’elles ont toujours été portées par des voix diverses.

Remettre en question la prononciation internationale, ce n’est pas faire preuve de provincialisme — c’est au contraire redonner au théâtre sa fonction première : laisser coexister des voix singulières et incarnées.

 
 
 

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