Le casting : est-ce qu'on en demande trop?
- Le Théâtre du Mauvais Garçon
- il y a 2 jours
- 3 min de lecture

J'ai vu quelques annonces de casting dernièrement ce qui m'a fait réfléchir
J’ai longtemps cru, comme beaucoup, qu’un bon casting, c’était une question de précision. Une histoire d’alignement entre un rôle et un corps. Un personnage masculin, trentenaire, bourgeois ? Je cherchais un comédien qui avait l’âge, la gueule, et si possible la démarche. Pour que le public y croie. Pour que ça fasse « vrai ».
Mais depuis quelque temps, je doute.
Je suis abonné à la chaîne National Theatre at Home, et je découvre ce que les Anglais font avec les classiques. C’est renversant. On y voit des productions où un roi blanc du XVe siècle a une épouse asiatique, un fils noir, et un cousin indien. Au début, ça déstabilise. Puis, la pièce commence. Les comédiens sont puissants, vibrants, justes. Et rapidement, on ne voit plus la couleur de leur peau, ni leur genre, ni leur âge. On voit l’histoire. On voit le théâtre.
Ian McKellen, 80 ans passés, a joué Hamlet. Oui, Hamlet, ce jeune prince en pleine tourmente existentielle. Et pourtant, je vous jure, on ne voyait plus l’homme âgé, mais le cœur battant du personnage. À Stratford, en 2022, Amaka Umeh, comédienne noire, a incarné Hamlet aussi. Et on n’a pas changé une virgule au texte. Elle n’a pas eu besoin qu’on réécrive l’histoire pour justifier sa présence. Elle a juste pris l’espace, habité le rôle, et livré une interprétation qui m’a profondément bouleversé. Toutes pièces confondues.
Et c’est là que j’ai compris quelque chose d’essentiel.
On devrait donner les rôles aux meilleurs.
Pas à ceux qui “font plus d’époque”, “font plus crédible”, ou “ressemblent à l’idée qu’on se fait du personnage”. Mais à ceux et celles qui portent le texte avec vérité, qui traversent le rôle avec leur humanité, et qui nous font oublier tout le reste.
Alors j’en viens à cette question qui me trotte dans la tête :Le casting, est-ce aussi important qu’on le croit ? Et surtout, est-ce qu’on ne pourrait pas arrêter de s’excuser quand il ne correspond pas aux attentes visuelles du public ? Est-ce qu’on pourrait arrêter de justifier un choix de distribution comme s’il fallait le faire passer en douceur, presque en s’excusant de déranger ?
Je crois que oui.
Parce que le théâtre, ce n’est pas le réel. C’est sa transposition. C’est une entente poétique entre un public et une scène. Et tant que cette entente est claire tant que l’acteur ou l’actrice joue juste, tant qu’il ou elle prend le rôle à bras-le-corps le reste devient accessoire.
Évidemment, il y aura toujours cette petite résistance au début. Ce moment de friction où le cerveau dit : « Attends, c’est pas ce à quoi je m’attendais. »Mais si l’interprétation est forte, ce moment ne dure que quelques secondes. Ensuite, c’est l’histoire qui prend toute la place. Et c’est ça, le théâtre.
Je ne dis pas qu’il faut faire du casting aveugle pour faire bien. Je dis qu’on peut arrêter de se limiter par réflexe. Qu’on peut élargir les possibles. Et qu’on n’est pas obligé de tordre les textes pour les faire correspondre à nos choix.On peut simplement les jouer. Les offrir. Et laisser le public être bouleversé malgré lui.
En fin de compte, ce n’est pas le corps qui compte. C’est la présence. Ce n’est pas la biologie. C’est la vérité.
Et cette vérité-là, elle n’a pas de couleur, pas de genre, pas d’âge.
Elle a juste besoin d’un acteur ou d’une actrice… qui soit le ou la meilleure.
Commentaires