Le casting, le corps, et la vérité du théâtre : prolonger la réflexion avec Georges Banu
- Le Théâtre du Mauvais Garçon
- 11 sept.
- 3 min de lecture

Dans un précédent billet, je me demandais si on ne faisait pas du casting un dogme. J’y racontais comment certaines productions anglaises m’avaient convaincu que ce qui compte au théâtre n’est pas l’adéquation parfaite entre un rôle et un corps, mais la force d’une interprétation.
En poursuivant cette réflexion, je suis tombé sur un texte marquant de Georges Banu, critique et essayiste, qui m’a permis d’élargir le regard. Ce qui n’était au départ qu’une opinion personnelle s’ancre ainsi dans une histoire et une pensée théâtrale plus vaste.
Qui est Georges Banu ?
Né en Roumanie en 1943, installé en France à partir des années 1970, Georges Banu fut critique, essayiste et professeur d’études théâtrales à la Sorbonne Nouvelle. Spécialiste reconnu de metteurs en scène comme Peter Brook, il a consacré sa vie à interroger la scène, ses images et ses contradictions. Auteur de nombreux essais marquants, il a laissé une œuvre qui continue d’inspirer les praticiens et les spectateurs du théâtre contemporain.
Le corps travesti : un héritage et une reconquête
Dans son article « Le corps travesti : un héritage et une reconquête » (2012), Banu revient sur l’histoire du travestissement au théâtre.
Des Grecs à Shakespeare, en passant par le kabuki japonais, le théâtre a toujours joué avec des corps qui ne « correspondaient pas » aux rôles.
En Occident, cette pratique a été marginalisée au nom d’un certain réalisme. Mais elle revient aujourd’hui comme une force polémique et libératrice, liée aussi aux mutations sociales et aux luttes pour la reconnaissance des identités.
Banu souligne cependant un danger : ce qui est aujourd’hui contestataire — comme le fut le corps nu dans les années 1960 — risque, à force d’usage, de devenir une simple « convention bourgeoise ». Un geste radical vidé de sa charge critique.
Quand le casting rencontre le travestissement
En lisant Banu, je réalise que ma propre réflexion sur le casting s’inscrit dans cette même logique.
Ce que je dis du choix des acteurs ne pas chercher le corps qui « correspond », mais celui ou celle qui révèle le texte, c’est déjà une manière de penser le théâtre comme artifice assumé.
Là où Banu parle de travestissement, je parle de casting. Mais dans les deux cas, la question est la même : comment préserver la force subversive de nos choix de distribution, sans qu’ils deviennent un simple effet de mode ou un geste attendu ?
Oui, il y a toujours une friction au début : un homme âgé en Hamlet, une femme noire en prince du Danemark, un acteur qui brouille volontairement les codes de genre. Cette friction déstabilise. Mais c’est précisément elle qui ouvre l’espace du théâtre. Si elle se dilue, si le public finit par n’y voir qu’une habitude de mise en scène, alors il faudra inventer d’autres secousses.
Vers une réflexion plus large
Ce qui n’était d’abord qu’un doute personnel — faut-il vraiment que le casting soit si précis, si « crédible » ? — prend ainsi racine dans une histoire et une pensée beaucoup plus vastes.
Le théâtre a toujours été un lieu où le corps pouvait être autre : vieillard en jeune homme, femme en roi, homme en nourrice. Banu nous rappelle que ce trouble est un héritage précieux, mais aussi qu’il doit être sans cesse reconquis pour ne pas se transformer en convention inoffensive.
Alors peut-être qu’il faut cesser de s’excuser pour nos choix de distribution. Cesser de justifier. Mais il faut aussi rester vigilants : la liberté que nous croyons conquise peut vite se figer en norme, et le théâtre perd alors sa capacité de surprise.
En fin de compte, je me rends compte que ma réflexion n’est pas isolée. Elle s’inscrit dans une tradition. Et que ce soit par le casting ou par le travestissement, le théâtre nous dit une chose essentielle :
La vérité scénique n’est pas celle du corps, mais celle de l’interprétation.Et cette vérité, pour demeurer vivante, doit toujours résister à la banalisation.
Référence
Georges Banu, Le corps travesti : un héritage et une reconquête, Jeu, Revue de théâtre, n°145, 2012, p. 37-41georges-banu-le-corps-travesti-….



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