Le rodage, ce muscle oublié du théâtre
- Le Théâtre du Mauvais Garçon
- 8 sept.
- 3 min de lecture

Dans l’humour et la musique, le rodage est une évidence. On joue, on teste, on ajuste, et on recommence, jusqu’à ce que tout tienne debout. Le public fait partie du processus, il est l’allié invisible qui permet de polir chaque détail.
Au théâtre, c’est une autre histoire. Bien souvent, le spectacle sort de semaines de répétition en vase clos et se retrouve projeté sur scène sans avoir eu l’occasion de respirer avec le public.
Le rodage en humour et en musique
En humour, le rodage est presque une tradition. Les humoristes investissent de petites salles, des bars, des sous-sols d’église. Chaque soir, ils observent la réaction du public, coupent les blagues qui ne fonctionnent pas, déplacent une phrase, improvisent une chute. Le spectacle se construit devant les spectateurs, pas seulement en coulisse.
En musique, le principe est le même. Les artistes partent souvent en tournée avant la « vraie » tournée. Ils rôdent leurs chansons, ajustent l’ordre des pièces, modifient la durée des transitions. Chaque représentation sert à trouver l’équilibre juste entre la scène et la salle.
Le théâtre en vase clos
Au théâtre, la logique est différente. On répète des semaines dans une salle fermée. Les comédiens connaissent le texte par cœur, le metteur en scène en maîtrise chaque respiration, et les techniciens anticipent chaque effet lumineux. Tout est calibré… mais sans jamais avoir été confronté à la réaction d’un public.
Créer ainsi comporte un danger : on finit par croire que le spectacle nous appartient. On devient les seuls juges de ce qui est drôle, touchant ou surprenant. On oublie que le théâtre n’est pas une formule chimique, mais une rencontre vivante.
Le frein financier
Le rodage coûte cher. Payer les artistes, louer une salle, mobiliser une équipe technique, tout cela pour jouer devant un public réduit et à petit prix, devient difficilement soutenable. Les subventions couvrent rarement autre chose que la création et la première série de représentations. Résultat : la première devient à la fois le test et le produit fini, alors qu’en réalité, le spectacle n’est pas encore mûr.
Le manque de lieux pour rôder
À ces limites financières s’ajoute un problème de structures. Les humoristes peuvent compter sur comédie-clubs, les bars et cafés. Le théâtre, lui, manque cruellement de lieux intermédiaires : peu chers, flexibles, disponibles, et surtout ouverts à l’échec et à l’expérimentation. Les grandes salles ne s’y prêtent pas et les petites sont souvent surchargées.
Mon expérience avec Chasser des Galeries
Avec Chasser des Galeries cet été, j’ai eu le privilège rare de vivre un véritable rodage. À chaque représentation, j’ai senti ce qui prenait vie et ce qui tombait à plat. J’ai découvert qu’un silence pouvait parfois avoir plus d’impact qu’une tirade. Cette expérience m’a confirmé que le public est le véritable co-auteur invisible du spectacle.
Défendre le rodage au théâtre
Le rodage transforme une bonne idée en un véritable spectacle. C’est là qu’on passe de « jouer devant » le public à « jouer avec » lui. C’est aussi un exercice d’humilité : accepter de couper ce qu’on aimait et reconnaître la valeur de moments qu’on croyait mineurs.
Le rodage demande du temps, du courage et de l’inconfort. Mais il exige surtout des moyens et des lieux adaptés. Tant que le théâtre ne s’accordera pas ce droit, il continuera à présenter des œuvres qui auraient pu être meilleures… si seulement elles avaient pu respirer un peu avant de naître pour vrai.



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