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Lee Strasberg : La mémoire affective et le mythe de la souffrance

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1. Contexte

Lee Strasberg (1901–1982) est sans doute la figure la plus connue de l’Actors Studio de New York, qu’il dirige à partir de 1951. D’origine polonaise, il se forme d’abord auprès du Group Theatre dans les années 1930, une troupe qui voulait importer les idées de Stanislavski aux États-Unis.


Strasberg lit Stanislavski, mais il en retient surtout la première période : celle de la mémoire affective. Pour lui, le cœur du jeu d’acteur se trouve dans la capacité à retrouver des émotions intenses en se plongeant dans ses souvenirs personnels.


C’est cette approche, appelée « la Méthode », qui va marquer Hollywood dans les années 1950–1960, à travers des acteurs comme Marlon Brando, Al Pacino, Robert De Niro ou Dustin Hoffman. L’image de l’acteur « habité », imprévisible, prêt à tout pour son rôle, vient en grande partie de là.


2. Idée-force

Pour Strasberg, le jeu vrai naît de l’expérience personnelle de l’acteur.


  • Retrouver un souvenir marquant.

  • Revivre ses sensations physiques et émotionnelles (le froid, la faim, la peur, la joie).

  • Utiliser cette mémoire affective comme déclencheur dans une scène.


Ainsi, l’émotion scénique ne serait pas une fabrication ou un artifice, mais la résurgence authentique d’un vécu intime.


3. Aspect critique

Le succès de Strasberg tient à la puissance de son approche : oui, puiser dans ses propres expériences peut donner une intensité rare et une impression de vérité brute.


Mais cette méthode a aussi suscité de nombreuses critiques :


  • Danger psychologique : fouiller dans ses blessures, raviver ses traumatismes, peut fragiliser un acteur, surtout en formation. Certains étudiants en sortaient plus abîmés que nourris.

  • Réduction de Stanislavski : Strasberg a figé le système dans sa première phase, alors que Stanislavski lui-même avait évolué vers les actions physiques.

  • Dogme hollywoodien : la « Méthode » a été sacralisée comme LA voie royale du jeu d’acteur, créant parfois une caricature : l’acteur torturé, capricieux, obsédé par son rôle, au détriment du partenaire et de la scène.

  • Critiques internes : Stella Adler, qui avait étudié directement avec Stanislavski, reprochera à Strasberg d’avoir réduit le théâtre à une psychanalyse de plateau. Elle insistera sur l’imagination et la grandeur de l’art.


En somme, Strasberg a donné aux acteurs américains un outil puissant, mais aussi une mythologie dangereuse : celle qui confond intensité émotionnelle et qualité artistique.


4. Exemple pratique

Exercice : La mémoire affective


  1. L’acteur choisit un souvenir personnel concret : par exemple, attendre longtemps dans le froid à un arrêt d’autobus.

  2. En silence, il se concentre pour revivre physiquement et sensoriellement la situation (respiration saccadée, frissons, impatience).

  3. Une fois l’état retrouvé, il entre dans une courte scène où le personnage vit une attente similaire.


But recherché : explorer comment la mémoire personnelle peut nourrir la présence scénique et colorer une action.


Limite : cet exercice doit être encadré et utilisé avec prudence. Le danger est de forcer l’acteur à revivre des expériences douloureuses qui dépassent le cadre artistique.


5. Conclusion – Ouverture

Strasberg a fait entrer le théâtre dans l’ère de l’intensité psychologique. Sa « Méthode » a donné au cinéma et au théâtre américain quelques-unes de ses plus grandes performances. Mais elle a aussi laissé derrière elle une génération d’acteurs persuadés qu’il fallait souffrir pour être vrai.


C’est précisément contre cette dérive qu’une autre voix s’est élevée : celle de Stella Adler. Formée elle aussi au Group Theatre, mais enrichie d’un séjour auprès de Stanislavski, Adler a affirmé avec force que l’art n’est pas enfermé dans nos blessures privées. Pour elle, l’imagination, la culture et la grandeur de l’art doivent primer sur l’introspection.


C’est cette voix, généreuse et exigeante, que nous explorerons dans le prochain billet, consacré à Stella Adler.

 
 
 

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