Michael Chekhov : Le geste psychologique et la poésie du corps
- Le Théâtre du Mauvais Garçon
- 23 sept.
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1. Contexte
Michael Chekhov (1891–1955) est le neveu du dramaturge Anton Tchekhov. Acteur de grand talent, il travaille très jeune avec Stanislavski au Théâtre d’Art de Moscou, qui le considère comme l’un de ses meilleurs élèves.
Mais Chekhov s’éloigne vite du système de son maître : il trouve la mémoire affective trop lourde, trop psychologisante, parfois même destructrice pour l’acteur. Il fuit la Russie soviétique, poursuit sa carrière en Europe (notamment en Lettonie et en Allemagne), avant de s’installer aux États-Unis, où il fonde une école et forme de nombreux acteurs (Marilyn Monroe, Clint Eastwood, Jack Nicholson, Anthony Hopkins).
Là où Strasberg et Adler se disputaient l’héritage psychologique et imaginaire de Stanislavski, Michael Chekhov proposait une troisième voie : une approche poétique, corporelle, symbolique du jeu.
2. Idée-force
L’apport central de Michael Chekhov est le concept de geste psychologique.
Pour lui :
L’acteur ne doit pas chercher l’émotion en lui-même.
Il doit trouver un geste symbolique, simple, clair, qui condense l’énergie du personnage (ex. repousser une force, attirer à soi, protéger, offrir).
Ce geste, répété et intériorisé, devient le déclencheur d’un état intérieur juste.
Chekhov insistait aussi sur :
L’imagination créatrice : l’acteur développe des images mentales, des atmosphères, qui nourrissent son jeu.
Le corps comme antenne : en travaillant sur les sensations physiques, on ouvre la porte aux émotions et à la présence.
La dimension spirituelle : le théâtre est un art qui dépasse le réalisme, il doit toucher à l’invisible, à l’aura, à l’atmosphère.
3. Aspect critique
L’approche de Michael Chekhov a séduit par sa poésie et sa puissance symbolique, mais elle a aussi suscité des réserves :
Certains la trouvent trop ésotérique, avec ses notions d’« atmosphère », « d’aura » et de « centre énergétique ».
Pour d’autres, son insistance sur le geste peut sembler simpliste, voire artificielle, si l’on ne comprend pas la profondeur de la démarche.
Aux États-Unis, il a été parfois relégué derrière Strasberg et Adler, dont les méthodes semblaient plus « concrètes » et adaptées au cinéma réaliste.
Mais avec le temps, son héritage est réévalué. Beaucoup d’acteurs reconnaissent la richesse d’une approche qui permet de sortir du psychologisme étroit et d’accéder à une vérité plus corporelle, imagée, poétique.
4. Exemple pratique
Exercice : Le geste psychologique
Demander à l’acteur d’identifier une énergie dominante du personnage : protéger, séduire, repousser, offrir, attaquer.
Inventer un geste simple qui exprime cette énergie (par exemple : tendre les bras pour offrir, écarter les mains pour repousser).
Agrandir ce geste jusqu’à le sentir habiter tout le corps.
Le répéter, puis le réduire jusqu’à l’intégrer subtilement dans le jeu.
But recherché : comprendre que l’émotion ne se fabrique pas dans la tête, mais peut être déclenchée par un geste corporel qui condense l’énergie du personnage.
5. Conclusion – Ouverture
Michael Chekhov a ouvert une voie singulière : celle d’un théâtre poétique où le corps et l’imagination créent une vérité intérieure. Son geste psychologique est une alternative précieuse à la mémoire affective : il redonne à l’acteur le pouvoir de créer des états sans se blesser psychologiquement.
Mais cette recherche poétique, tournée vers le symbolique et le spirituel, a pu sembler éloignée des urgences politiques et sociales du XXᵉ siècle. C’est justement ce terrain que va occuper le penseur suivant, Sanford Meisner, qui ramènera le jeu d’acteur à sa plus grande simplicité : l’écoute, la vérité de l’instant, le « vivre vraiment » ici et maintenant.



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