top of page

Présentation de la nouvelle série de réflexions.

Depuis quelque temps, j’ai entrepris de partager mes réflexions sur le théâtre : le rapport au public, la question du casting, le rôle du langage, les conditions de création… Ces billets sont autant de tentatives pour comprendre ce qui façonne notre pratique d’aujourd’hui et pour ouvrir la discussion avec celles et ceux qui s’y intéressent.

C’est dans ce même esprit qu’est née cette nouvelle série : Constellation du théâtre. Plutôt qu’un traité savant ou un manuel, il s’agit d’un aide-mémoire, un ensemble de repères issus de dix figures majeures du XXᵉ siècle. Un survol de dix penseurs et praticiens comme Stanislavski, Strasberg, Adler, Michael Chekhov, Meisner, Brecht, Artaud, Grotowski, Brook et Meyerhold, qui chacun, à leur manière, ont posé la question essentielle : qu’est-ce que jouer ?


Introduction – Les grands penseurs du théâtre

Le théâtre n’est pas seulement une suite de textes et de rôles transmis de génération en génération. C’est aussi une longue conversation entre celles et ceux qui, depuis plus d’un siècle, ont cherché à comprendre ce que signifie jouer, mettre en scène, raconter devant d’autres êtres humains.


De Constantin Stanislavski à Peter Brook, en passant par Brecht, Artaud, Grotowski, Adler, Strasberg, Michael Chekhov, Meisner et Meyerhold, chacun a proposé une vision du théâtre qui dépasse le simple cadre de la technique. Ils ont réfléchi à la place de l’acteur, à la relation avec le spectateur, au rapport entre art et société. Certains ont été érigés en « maîtres » ou en « méthodes », d’autres ont été censurés ou marginalisés, mais tous ont laissé des traces qui marquent encore notre manière de concevoir le théâtre.

Ces penseurs ne sont pas là pour nous donner des recettes figées. Le danger serait justement de transformer leur recherche vivante en dogmes pédagogiques. Leur véritable héritage, c’est d’avoir ouvert des chemins, parfois contradictoires, qui obligent chaque acteur, chaque metteur en scène, chaque pédagogue à se positionner, à choisir, à expérimenter.


À travers cette série, je ne veux pas faire des fiches scolaires. Je souhaite plutôt entrer en dialogue avec eux depuis ma propre pratique. Comment leurs idées résonnent-elles aujourd’hui dans la répétition, sur scène, dans un théâtre qui se cherche entre tradition et modernité ? Que reste-t-il de Stanislavski dans notre manière de travailler un rôle ? Que nous dit encore Brecht sur l’art et la politique ? Comment l’imagination selon Adler, le geste de Michael Chekhov ou l’écoute de Meisner transforment-ils le travail de l’acteur ?

La recherche et l’analyse que je propose ici restent volontairement sommaires. Elles ne prétendent pas épuiser la richesse ni la complexité de chaque penseur. Ma compréhension de chacun ne se limite pas à ces quelques lignes, mais s’inscrit dans une expérience de travail, de lectures et de rencontres artistiques.


Cette série est donc avant tout un repère, un aide-mémoire, une constellation de points de référence qui m’aident à nourrir ma réflexion et ma pratique. Non pas pour sacraliser des noms, mais pour faire vivre leurs idées dans notre théâtre d’aujourd’hui.


Constantin Stanislavski : La quête de la vérité vivante


ree

1. Contexte

Constantin Stanislavski (1863–1938) est souvent considéré comme le père du théâtre moderne. Cofondateur du Théâtre d’Art de Moscou, il a bouleversé le jeu d’acteur en mettant en scène les pièces de Tchekhov et en rompant avec les habitudes de son époque : cabotinage, déclamation artificielle, effets démonstratifs.


Son ambition : créer un art de l’acteur crédible, humain, vrai. Mais attention : Stanislavski n’a jamais figé une méthode définitive. Son « système » était un chantier permanent.


  • Dans ses débuts, il explore la mémoire affective, croyant que l’acteur pouvait puiser dans son vécu émotionnel pour nourrir un rôle.


  • Plus tard, il change de cap : il insiste davantage sur les actions physiques, convaincu que c’est en jouant une action précise que l’émotion naît naturellement.


Ainsi, ce que l’on appelle « la méthode Stanislavski » n’est pas une recette, mais une recherche en évolution, toujours ouverte.


2. Idée-force

La grande question de Stanislavski est : « Qu’est-ce que je fais ? »Pas : « Qu’est-ce que je ressens ? », mais bien : « Qu’est-ce que je fais ? ».


Son système repose sur :


  • Les circonstances données : qui je suis, où je suis, quand, pourquoi.


  • Les objectifs : ce que veut obtenir le personnage dans chaque scène.


  • L’action concrète : séduire, convaincre, attaquer, protéger, apaiser.


Stanislavski ne cherchait pas une intensité forcée, mais une vérité organique. C’est en jouant des actions justes, dans un contexte précis, que l’émotion surgit d’elle-même, comme une conséquence, pas comme un effort.


3. Aspect critique

Stanislavski a été largement mal compris. Son insistance initiale sur la mémoire affective a été hypertrophiée par certains de ses héritiers (notamment Lee Strasberg aux États-Unis), donnant naissance au mythe de l’acteur qui doit « souffrir » pour être vrai.


Problèmes :

  • Danger psychologique : revivre des traumatismes pour nourrir un rôle peut fragiliser des acteurs jeunes ou sensibles.


  • Dogmatisation : dans certaines écoles, le système est enseigné comme une « méthode » figée, alors que Stanislavski n’a cessé d’évoluer et de corriger ses propres outils.


  • Réduction au réalisme : son héritage a parfois enfermé le jeu d’acteur dans une quête de naturalisme, alors que lui-même cherchait surtout la crédibilité, pas la reproduction plate du quotidien.


Le paradoxe, c’est que Stanislavski a voulu libérer l’acteur du cabotinage, mais qu’il est parfois devenu malgré lui le symbole d’un autre carcan pédagogique.


4. Exemple pratique


Exercice : Les circonstances données

  1. Donnez une scène neutre :– Bonjour.– Bonjour.– Tu es venu ?– Oui.


  2. Variez les circonstances :

    • Deux espions échangent un mot de passe en cachette.

    • Deux amis se retrouvent après des funérailles.

    • Deux collègues se recroisent après une dispute.


  3. Jouez la scène sans chercher l’émotion directement. Concentrez-vous sur les actions dictées par les circonstances (cacher, consoler, éviter, provoquer).


But recherché : montrer que l’émotion émerge de l’action juste dans un contexte précis, pas d’une recherche psychologique forcée.


5.Conclusion

Stanislavski a ouvert une brèche : celle de la vérité scénique. Son système n’était pas une méthode figée, mais une recherche vivante pour libérer l’acteur du cabotinage et l’ancrer dans l’action. Pourtant, son héritage a parfois été trahi, réduit à une psychologie étroite ou transformé en dogme.


C’est précisément ce qui s’est produit aux États-Unis, quand certains pédagogues ont importé ses premières idées et les ont transformées en règle d’or. Le plus célèbre d’entre eux, Lee Strasberg, a fait de la mémoire affective l’outil central de son enseignement. Mais en mettant l’accent presque exclusivement sur l’intériorité psychologique, il a ouvert la voie à un mythe : celui de l’acteur torturé qui doit souffrir pour être vrai.


C’est ce mythe, fascinant et dangereux, que nous explorerons dans le prochain billet, consacré à Strasberg et à l’Actors Studio.


Prochain billet: Lee Strasberg


 
 
 

Commentaires


CONNEXION/INSCRIPTION
AU SITE ET AU BLOGUE
(Pour recevoir des notifications)/INSCRIPTION

Pour nous joindre

Vous avez une idée, une proposition, un commentaire, 
une critique, une éventuelle collaboration, un projet,
n'hésitez pas à communiquer avec nous.


theatre.mauvais.garcon@gmail.com
 

VIA NOTRE PAGE FACEBOOK

© 2020 Le Théâtre du Mauvais Garçon 

bottom of page