Stella Adler : L’imagination plus grande que la vie privée
- Le Théâtre du Mauvais Garçon
- 21 sept.
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1. Contexte
Stella Adler (1901–1992) est issue d’une famille d’artistes : son père Jacob Adler était une figure du théâtre yiddish new-yorkais. Elle débute comme actrice, puis rejoint le Group Theatre dans les années 1930, aux côtés de Lee Strasberg.
En 1934, elle voyage à Paris et rencontre Stanislavski lui-même. Elle découvre alors que celui-ci a évolué : il ne met plus la mémoire affective au centre de son système, contrairement à ce que Strasberg prêchait à New York. Cette rencontre bouleverse Adler. À son retour, elle s’oppose publiquement à Strasberg et fonde sa propre pédagogie.
Elle enseignera des décennies durant, formant des générations d’acteurs (dont Marlon Brando, Warren Beatty, Harvey Keitel, Benicio del Toro). Son école, la Stella Adler Studio of Acting, reste une référence.
2. Idée-force
Adler croit en un principe simple et puissant : l’art est plus grand que la vie privée.
Pour elle :
L’acteur ne doit pas s’enfermer dans ses souvenirs intimes.
Il doit élargir son horizon par la culture, l’imagination, l’observation du monde.
Le rôle se nourrit des circonstances données : époque, lieu, contexte social et politique.
L’acteur doit devenir plus grand que lui-même, se hisser à la hauteur de l’art.
Elle demande à ses élèves de lire, de voyager, de découvrir la peinture, la musique, l’histoire. Le théâtre n’est pas une psychanalyse : c’est une porte ouverte sur l’humanité entière.
3. Aspect critique
L’approche d’Adler a été une bouffée d’air frais face aux excès psychologisants de Strasberg. Elle a redonné à l’acteur le droit d’imaginer, de rêver, de construire un monde fictif sans avoir à saigner intérieurement.
Mais certains lui reprochent :
Un ton parfois dogmatique : Adler exigeait énormément de ses élèves, parfois avec dureté.
Une vision presque aristocratique du théâtre : l’acteur devait se cultiver, se dépasser, se grandir. Pour certains, cela pouvait sembler intimidant ou élitiste.
Le risque d’oublier la simplicité du jeu dans une quête de « grandeur ».
Cependant, sa pédagogie a contribué à équilibrer l’héritage de Stanislavski, rappelant que le théâtre n’est pas que psychologie : c’est aussi imagination, vision, élévation.
4. Exemple pratique
Exercice : Les mondes imaginés
Demander à l’acteur de préparer une scène courte, mais avant de la jouer, lui faire imaginer en détail le monde où elle se déroule.
Où sommes-nous ? Quelle époque ? Quelle heure de la journée ?
Quels bruits entourent la scène ? Quels objets sont présents ?
Quelle température, quelle odeur, quelle atmosphère ?
L’acteur joue ensuite la scène en laissant ce monde imaginaire colorer son corps, sa voix, sa respiration.
But recherché : entraîner l’acteur à élargir son imaginaire, à se nourrir du contexte fictif plutôt que de ses souvenirs personnels.
5. Conclusion – Ouverture
Stella Adler a ouvert une voie différente de Strasberg : celle de l’imagination et de la culture comme piliers du jeu d’acteur. Son enseignement rappelle que l’art n’est pas réductible à l’intimité psychologique. Jouer, c’est agrandir son monde intérieur pour accueillir celui des personnages et des histoires.
Mais certains élèves, entre Adler et Strasberg, se sont retrouvés déchirés : fallait-il chercher en soi ou en dehors de soi ? Devait-on puiser dans son vécu ou dans son imagination ? C’est là qu’une troisième voix, plus singulière encore, s’est imposée : celle de Michael Chekhov, le neveu d’Anton, qui proposa une approche fondée sur le geste psychologique et la puissance symbolique du corps.
C’est à ce voyage poétique, à la frontière de l’imaginaire et du physique, que sera consacré le prochain billet.



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